Rapports sociaux - #1


Je me suis rendu compte, il y a peu, que ce qui avait toujours interrompu ma lancée dans un projet était la partie sociale. Lorsque, une idée en tête, j'envisageais un nouveau projet, dès que la notion de rapports sociaux se faisait sentir, je laissais tomber, quitte à mettre de côté un rêve ou ne pas entreprendre quelque chose qui puisse m'être réellement utile et bénéfique.

Niveau boulot

Quand j'ai commencé mon apprentissage de libraire, j'étais tellement mauvaise avec les clients qu'on m'a changé d'étage pour que je puisse rester sous la surveillance de mon maître d'apprentissage qui me remettait à l'ordre. On m'avait donné un badge sur lequel était précisé que j'étais apprentie pour qu'on sache que c'était la raison du fait que j'étais à côté de la plaque dans mes réponses. Je n'arrivais pas à m'écraser devant un client qui affirmait quelque chose de faux, j'essayais de lui expliquer son erreur avec diplomatie, mais je ne devais pas être douée, car j'ai fini par ne plus avoir le droit de répondre aux clients, je devais me contenter de ranger les rayonnages. Et quand un client venait me voir, je me faisais un plaisir de lui répondre que je ne pouvais pas l'aider, que je devais ranger les livres.
J'ai fini par ne presque plus travailler dans la librairie, je me chargeais de ranger le stock de livres en réserve, je préparais les paquets de commandes, je rangeais les livres mis de côté ou les réceptions de commandes, etc. Je dois dire que ça m'arrangeait bien, au point que j'étais mal quand je devais retourner dans la "zone publique", je cherchais toujours un truc à faire pour sortir de là. La comptable semblait l'avoir compris et cette petite dame que tout le monde trouvait antipathique me proposait toujours si j'avais envie d'aller faire telle ou telle course pour elle - besoin de timbre, de papier, etc. - et j'acceptais volontiers, ravie. Je l'aimais beaucoup cette dame.
J'ai fini par quitter cette formation après moins d'un an, car je ne m'y sentais pas à l'aise. Et pourtant, qu'est-ce que j'aimais (j'aime toujours) les livres. J'y étais bien, trop bien, j'avais toujours envie de feuilleter les livres quitte à en oublier les clients qui me prenaient parfois pour une cliente. Je me suis fait remettre à l'ordre très souvent pour ça. Mais ma formation était d'apprendre à vendre les livres et non pas de les lire.

Formation suivante ; peintre en publicité. Aujourd'hui, on appelle ça réalisateur/trice publicitaire. En gros, on nous donne un projet, même s'il peut arriver qu'on travaille un peu dessus, on se contente de le réaliser (sur des t-shirts, des véhicules, vitrines, bâches, enseignes lumineuses etc.). J'aimais bien. C'était une toute petite boîte. On y était que trois : mon chef, ma sœur et moi. J'étais tellement contente de travailler avec ma sœur. Elle était ma bouée, la personne à qui me raccrocher, ce que j'appelle "ma personne de référence". Même si ce n'était pas toujours rose - il y a toujours eu un peu d'électricité entre ma sœur et moi - j'étais à l'aise quand elle était là, je savais quoi faire, comment le faire, etc. Mais, elle qui terminait sa formation - alors que je la commençais à peine - devait se rendre à ses cours dans une autre ville une fois par semaine. C'était un jour de panique pour moi. Je me retrouvais seule, parfois sans mon chef, à devoir accueillir client et commande sans personne pour m'aider, me soutenir, me dire comment faire. Pourtant, je savais parfaitement le faire seule. Mais je me sentais comme une enfant ensevelie par des responsabilités trop lourdes.
L'entreprise a fait faillite après une année. Ma sœur à pu terminer sa formation, et c'est ce que je lui souhaitais. En ce qui me concerne, j'aurais pu continuer dans une autre boîte, mais je n'y aurais pas retrouvé ma sœur, je n'y aurais plus aucun repère, alors j'ai laissé tomber. Je n'ai pas voulu continuer. Et je me sentais soulagée, car j'avais une bonne excuse pour ne pas continuer sans ma sœur.

Plus tard, j'ai travaillé dans une boîte de robotique, à la comptabilité. Ma mère avait également travaillé dans cette boîte et la plupart des gens me connaissaient depuis enfant, je connaissais donc bien ma chef et elle était devenu ma personne de référence. Quand elle était là, je rigolais, discutais, allais à la cafétéria, etc. Mais quand il arrivait qu'elle soit absente, j'étais perdue, je me sentais seule, je ne prenais pas de pause, ni à midi, ni jamais. Je n'ai d'ailleurs jamais su prendre de pause dans mes journées professionnelles, je ne savais jamais où aller, n'ayant personne avec qui aller manger ni personne qui me proposait de manger avec eux. Et je pense que si quelqu'un l'avait fait, j'aurais été mal à l'aise.
Encore une fois, je n'ai pas renouvelé le contrat. Pour plusieurs raisons cette fois, autre que le travail en soi, mais je dois dire qu'une nouvelle fois, c'était un soulagement de laisser ce travail derrière moi.

Quand j'ai rencontré mon mari, je ne travaillais pas. Je voulais travailler, mais je n'avais aucune idée de quoi faire. Je cherchais en quoi un boulot pouvait être parfait. Je voulais quelque chose en lien avec la nature, je voulais quelque chose qui m'évite de voir trop de monde, quitte à ne faire que du classement, etc. Je n'arrivais pas à trouver.

J'ai parlé à mon mari d'une formation de photographe par correspondance, j'étais terriblement excitée et emballée, j'étais motivée, j'avais vraiment envie de foncer, me lancer à fond ! J'ai regardé le programme, etc., j'ai argumenté pour convaincre mon mari de me payer cette formation, car je ne gagnais pas un sou - et il n'était même pas encore mon mari à cette époque. Et j'ai réussi à le convaincre, alors je me suis inscrite, j'ai fait les démarches pour commencer alors que c'était une formation à l'étranger, etc. J'ai reçu mes premiers fascicules avec les informations pratiques, la théorie, le lexique avec tous les termes, les techniques de cadrage, des tutoriels de retouches, des logiciels, etc. La totale ! Mais surtout, j'ai reçu les premiers exercices à rendre... Et là, ce fut la catastrophe. Le tout premier exercice consistait à prendre en photo un enfant. Cela aurait pu sembler simple pour n'importe qui, mais pas pour moi. Je connaissais qu'une personne qui avait un enfant. Cette personne habitait loin de chez moi et nous n'avions plus vraiment de contact, sans parler du fait que son enfant ne m'inspirait pas du tout l'envie de le prendre en photo... Une autre possibilité était donc d'aller dans des lieux fréquenter par des enfants, comme des parcs de jeux ou ce genre, et demander aux parents s'il m'était possible de photographier leur progéniture pour la réalisation d'un exercice de photo dans le cadre d'une formation. C'était inenvisageable pour moi. Je n'ai donc jamais réalisé ce premier exercice, j'ai tout mis de côté, j'ai tout laissé tomber, rongé par la culpabilité et la honte, sachant que la formation complète coûtait plusieurs milliers d'euros. C'est la pire expérience que j'ai vécue...

Ensuite, mon mari m'a poussé à suivre une formation dans les ressources humaines. Il y avait le côté psychologique du métier qui me tentait bien, mais c'est tout. J'ai accepté, sans trop savoir pourquoi. Je crois que c'était parce que je voulais me faire pardonner du coup de la formation de photo, je voulais faire quelque chose pour me rattraper, et si ça débouchait sur un emploi, c'était le mieux ! Sauf que la formation à été une catastrophe. Une fois de plus, je me sentais comme une enfant perdue dans un monde d'adultes. J'ai bien aimé la première partie qui, justement, parlait de la psychologie au travail, la manipulation, les moyens d'encouragement, etc., mais après ça je me suis retrouvée à dessiner sur les feuilles de mon classeur sans plus écouter. Je ne comprenais rien, je m'ennuyais, et j'entrais doucement en dépression à cette période.
Dans tous les cas, résultat, à l'examen, j'ai complètement raté. Mais mon - merveilleux - mari était content parce que j'étais allée au bout. Une fois de plus, moi, j'avais honte. Encore une formation qui avait coûté cher et qui ne menait à rien. Je me sentais vraiment incapable...

Ce n'est que quand j'ai tenté la formation de concept artiste avec ma meilleure amie que j'ai enfin tenu jusqu'au bout, pendant deux ans, j'ai eu un diplôme, etc. ! La totale ! Mais il faut dire que suivre une formation quand on est juste avec sa meilleure amie (oui oui, nous n'étions que deux élèves), elle-même passionnée, ça aide. Bien que la formation ne correspondait pas vraiment à ce que j'espérais (je voulais apprendre le concept art et nous ne faisions que de la modélisation 3D), j'ai eu beaucoup de plaisir à suivre cette formation. Pour l'ambiance avec mon amie surtout. Elle était ma bulle, ma facilité, la personne qui me permettait d'entrer en contact avec les autres. Les jours où elle n'était pas présente, j'étais beaucoup plus distante, froide, je ne prenais pas mes pauses, je ne parlais à personne, etc. Je ne savais pas comment faire pour engager la conversation alors je restais seule.
Cependant, une fois le diplôme en poche, je n'ai pas cherché à percer dans le métier, parce que ce n'est pas un métier qui offre énormément de débouchés et pour espérer trouver un emploi en rapport, il faut aller frapper aux portes (ou changer de pays) et je ne me sentais pas la force de le faire, j'avais peur, d'autant que je ne me sentais pas apte à être autonome dans le métier.
Donc ce fut encore une formation qui ne servit qu'à me montrer que j'étais capable si les conditions étaient réunies, mais sans pour autant m'offrir plus d'ouvertures...

Mon mari a définitivement laissé tomber l'idée que je travaillerai un jour, mais moi je voulais encore y croire, je voulais un minimum d'autonomie financière, etc. Je n'en pouvais plus de me sentir incapable. Alors j'ai cherché du travail, mais tout en ayant une peur bleue d'avoir une réponse positive. "Par chance", quand c'était positif, c'était mon mari qui me disait de ne pas accepter, que c'était de l'arnaque ou pas pratique ou pas un métier pour moi... J'étais soulagée de ne pas avoir à refuser, mais que ce soit lui qui refuse pour moi. Jusqu'au jour où il m'a trouvé le boulot parfait... Mais ce fut une nouvelle fois la catastrophe (j'en parle dans cet article). Donc à partir de là, c'était fini. Ma fille est née, j'avais non seulement la réelle envie d'être mère au foyer, mais cela m'offrait également une excuse pour que cela soit socialement mieux accepté que je ne travaille pas.

En parlant de mon cas avec d'autres femmes Asperger, je suis au moins rassurée de constater que je ne suis pas la seule (et de loin). L'une d'elle lançait d'ailleurs en réponse "Je ne compte plus le nombre de cours commencés puis abandonnés (l'argent gaspillé) d'activités qui me plait", phrase que j'aurais moi-même pu exprimer.

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