Réguler son flot de paroles


Lors d'une soirée entre amis, ceux-ci diront certainement de moi que je suis quelqu'un d'assez exubérant, que je n'ai pas peur de m'exprimer et d'aller au contact des gens, même des inconnus. Ils diront probablement que je suis sociable, bavarde, voir un peu fofolle, mais...

Dans l'absolu, ce n'est pas faux. Il est vrai qu'en soirée, je m'approche des gens, je leur parle, de tout et de rien, je passe d'une personne à l'autre, d'un sujet à l'autre, sans problème. Mais qu'en est-il exactement de la réalité des choses ?

Déjà, la soirée avec plein de monde, de base, je n'ai aucune envie d'y aller. Si l'endroit m'est inconnu et que les gens m'y sont inconnus pour la majorité, c'est non. La seule chose qui peut me faire accepter c'est d'y aller avec ce que j'appelle "une personne de référence", autrement dit, une personne assez proche de moi pour faire office de "bulle", quelqu'un qui, je le sais, ne me laissera pas tomber, ne me laissera pas seule, quelqu'un vers qui je pourrai me tourner à tout moment pour retrouver une sorte de "point d'encrage". Ces personnes sont rares. Il s'agit de mon mari et mes parents principalement, ma sœur aussi bien que parfois les environnements qu'elle côtoie peuvent me submerger car très animés, énormément de monde, des lumières qui clignotent, du bruit, des gens alcoolisées (ou autre) qui me mettent très mal à l'aise et j'en passe. Non, ma sœur ne côtoie pas particulièrement le milieux des boîtes de nuits, elle aime les fêtes plus "authentiques" : les goa !

Pour ce qui est des soirées dans un lieu connu, avec des personnes que je connais, je gère relativement, mais je n'aime pas forcément m'attarder. Ce qui ne veut pas dire que je ne passe pas un bon moment, parfois même, je regrette d'avoir dit vouloir rentrer tôt parce que je passe un bon moment, mais voilà, je sens que je sature, autant en contrôle qu'en fatigue.

Dans tous les cas, une fois plongée dans le bain social, arrivée dans cet instant où il faut commencer à échanger, à partager, à dialoguer, je me mets tout d'abord en mode automatique pour les gens que je connais, fouillant ma mémoire pour retrouver les derniers sujets importants abordés - boulot, famille, vacances, santé... - et je plonge sur ce sujet pour lancer une conversation. Cependant, même si j'apprécie sincèrement la personne et même si j'espère sincèrement que la situation soit positive pour elle, ce ne sera pas forcément un sujet qui me donne envie de parler. Juste savoir que "oui ou non" me suffit, mais bon, j'échange malgré tout.

Je suis très mal à l'aise dans ce genre de discussion parce que je n'ai pas de quoi donner le change, je ne travaille pas, je vois peu de monde, sors peu de chez moi, je n'ai pas le permis de conduire, je ne regarde pas la télévision, je n'aime pas le shopping, etc. Bref, donc pas beaucoup de répondant de ma part. Bien que depuis que j'ai une fille, je peux lancer le sujet "bébé - enfant" mais ce n'est vraiment pas un sujet qui me passionne dans l'échange. Autant je suis passionnée par la psychologie et le développement de l'enfant (IR), autant parler du dernier rhume de petit Léo et des la crise d'opposition de la petite Lucie, ça me dit moyen. Mais bon... Au moins, avec ce sujet, j'ai de quoi échanger.

En fin de compte, je ne sais pas vraiment rebondir. Je parle de moi, de ce que moi je vis, de ce que moi je fais, et surtout, je veux pouvoir placer ma réplique, je n'aime pas qu'on me coupe la parole ou qu'on ne m'écoute pas complètement. Moi je fais l'effort d'écouter, de ne pas interrompre etc. alors j'estime qu'on doit faire de même avec moi. C'est ça, les règles d'une conversation polie non ? Alors si mon interlocuteur les enfreint, je me retrouve perdue dans le rythme des échanges. Tant que je n'aurais pas terminé ma phrase, je bloquerai dessus, il faudra que je la place. J'aurai du mal à accepter un changement de sujet brusque et soudain. Je commencerai à m'énerver, sans le montrer si les gens qui m'entourent ne sont pas des proches avec qui je peux me le permettre. Avec mes proches, je vais laisser éclater ma frustration, comme une enfant "Je peux finir ma phrase ? Ça fait une heure que je veux dire que... On me coupe tout le temps la parole !" etc.
Alors qu'avec des gens moins proches que je connais pas trop, ou face à qui je ne me sens pas libre d'être vraiment moi, il se peut que je bug un peu. Surprise de ne pas être écoutée, il se peut que je ne trouve plus l'intérêt de parler, alors je me tais. Il arrive également que je cesse alors certains efforts de politesse. Non pas que je devienne impolie en soi, mais je me laisserai plus facilement aller à m'isoler, je ferai moins attention à mes filtres, etc. Quand je suis face à une personne que je connais vraiment peu mais qui ne m'inspire rien de bon, il arrive que certaines de mes paroles puissent sembler acerbes et sarcastiques. Ce qui n'est pas forcément le cas... pas forcément. Et quand cela arrive, il se peut que je mette les gens mal à l'aise, que je jette un froid dans l'assemblée et qu'on en vienne à me trouver antipathique et/ou agressive. Évidemment, après je me sens moi aussi mal à l'aise, et aggrave parfois la situation en essayant d'arranger les choses.

Dans un cas où la discussion se passe bien, il m'arrive de faire "dégénérer" une discussion en la menant complètement, en ne laissant plus vraiment l'autre personne le temps de s'exprimer, en devenant complètement "expensivement volubile", ce qui peut devenir carrément excessif. Je me retrouve alors parfois à être la seule à parler, au milieu du comité (jamais bien nombreux, mais parfois 6-10 personnes), évitant ainsi tout échange, évitant ainsi d'avoir à réfléchir à quand dire quoi, quoi répondre, que dire, quand, comment, à me demander ce que l'autre à dit ou sous-entendu, etc. Je parle, j'écrase tout le monde pour me créer mon monologue que je maîtrise, même s'il m'épuise. Parfois, cela amuse les gens qui me trouvent bizarre mais originale, on me prend pour une excentrique à l'aise en société... Alors que ce n'est qu'une façon pour moi de garder le contrôle de la discussion sans passer pour une asociale solitaire.

Parfois, je n'ai pas un public très ouvert à ces extravagances et je vois rapidement que mes laïus ne font pas bon effet. Dans de tel cas, je m'isole, ou me plonge dans un mutisme soudain. On pensera que je boude comme une gamine, mais non, je préfère juste me taire et ne plus parler du tout car je ne maîtrise pas bien l'entre deux. Le dialogue simple. Pas si on est nombreux. En tête à tête avec une personne, oui, mais autour d'une table où on se retrouve à plus de quatre, c'est trop me demander. Soit je m'impose, soit je m'efface.

Parfois, je rêve de m'effacer, m'isoler, me mettre dans un coin, en silence. Mais c'est difficile. Les gens viennent vous demander si tout va bien, si vous faites la tête, si vous vous ennuyez, etc. Une autre personne arrive, avec les mêmes questions ou un sujet de conversation complètement bateau auquel je n'ai pas envie de participer mais je sais que ce n'est pas poli de se lever et s'en aller simplement, donc je reste me force à parler, et hop... ! Je reprends le dessus ! Parce que j'ai été obligée de parler...
Alors je parle, je parle, je parle... On me dit extrêmement bavarde, et pourtant, Dieu sait que j'aimerais parfois me taire. Mais comment ignorer la personne qui te parle sans la vexer ?
Quand une personne parle, il arrive pourtant que je remarque que les autres ne l'écoutent pas. Mais ça me semble cruel, impoli et hors règles sociales, alors je prends sur moi de converser. Alors que je n'en ai pas envie du tout, mais parfois pas du tout du tout !

Pourquoi je me force ? Pourquoi est-ce que je réponds toujours quand quelqu'un parle ? Pourquoi je ne sais pas simplement faire comme les autres ? Ignorer... Ne pas répondre, ou autrement que par des onomatopées vagues genre "mmh..." ? Pourquoi est-ce que je me retrouve toujours à développer des réponses ? Pourquoi je ne peux pas juste dire "oui oui" même si je ne suis pas d'accord, et ainsi espérer abréger l'échange ? Pourquoi je ne peux éviter de toujours trop en dévoiler sur moi ? Comme si je ne savais parler de rien d'autre... ?

Ma solution à tout ça, c'est l'isolement...
On me dit être bavarde, mais en fin de compte, dans une semaine, je parle très peu. Du moins, je n'ai pas de réel échange, je ne peux pas discuter, débattre d'un sujet profond. Pas avec ma fille ou mon chien.
Donc quand je me retrouve avec des gens, il y a aussi ce phénomène qui se passe : je peux enfin échanger. Sauf que je n'aime pas les sujets de prédilection de la plupart des gens. Les gens avec qui j'apprécie réellement de parler se comptent sur les doigts d'une main (ce qui est déjà énorme si je compare avec d'autres personnes Asperger avec qui j'ai pu échanger). Mais ce sont des gens que je vois extrêmement peu souvent.
Alors je n'ai plus de plaisir à voir du monde, je n'ai plus de plaisir à rencontrer des personnes, je n'ai plus envie d'aller à des soirées, des rencontres, des grill party, des apéros dînatoires ou que sais-je d'autres avec plein de monde.
Je vois les gens en petit comité bien choisi, si possible chez nous comme ça je peux m'isoler en m'occupant de préparer le repas, en allant changer notre fille, ou la coucher pour la sieste ou le soir, ou autre, bref, je trouve des astuces pour reprendre un peu mon souffle.

J'ai aussi remarqué que dans les rencontres d'amis qu'organisent nos connaissances, très vite je m'ennuie. On m'a eu dit que c'était peut-être davantage lié au HPI qu'au SA. Dans tous les cas, cet ennui fait que je vais soit avoir envie de rentrer chez moi - ce qui n'est pas toujours faisable puisque je n'ai pas de permis de conduire, je suis toujours dépendante de quelqu'un (généralement mon mari) - soit, comme quand on a un coup de barre, il faut que je m'active pour que l'ennui passe. Mais je vous raconte pas le vrai coup de fatigue qui vient m'écraser ensuite. C'est en général là que j'ai l'air d'être une mère et femme ingrate qui ne veut rien faire ni rien assumer, qui se repose complètement sur son mari qui s'occupe d'aider les hôtes à ranger, surveiller notre fille, sortir le chien, regrouper nos affaires au moment du départ, débarrasser la table si la rencontre à lieu chez nous, etc. Je donne alors l'impression d'être une loque qui ne sert à rien. Alors que j'ai juste l'impression d'être au bout de ma vie.

Donc voilà, la personne que l'ont prend pour bavarde, excentrique, volubile et fantasque n'est en fait qu'une aspie qui ne sait pas gérer son flot de paroles entre le tout ou rien, qui sait que "rien" est considéré comme impoli alors elle tombe dans l'autre extrême... Tout en cherchant désespérément une échappatoire. Il m'a été dit qu'il était possible que mon HPI m'ait aidé à ce niveau, me permettant de mieux me camoufler, mieux me fondre dans la masse, malgré quelques maladresses, Et après avoir partager ce texte avec d'autres femmes Asperger, il se trouve que nous sommes très nombreuses à correspondre à ce profil, faussement bavardes et à l'aise socialement, bien que parfois un peu maladroites... Et malgré tout, autistes. Handicape invisible...

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