Je me permets de revenir sur les intérêts spécifiques (IS), car il y a une notion, par rapport à ça, qui est bien trop souvent mise de côté. Cela m'a sauté aux yeux en lisant l'article traitant des IS sur le blog "Troll de jardin". Cette notion est celle du besoin. Un IS n'est pas une simple "passion", au sens commun du terme, à laquelle on aime se consacrer dans un moment perdu, c'est un besoin, un moyen de se ressourcer, de se détendre. De nombreux autistes qui ne peuvent s'adonner à leur IS tombent en dépression.
Il est également possible qu'une personne autiste n'ait pas d'IS pour l'instant. Les IS évoluent, changent, vont et viennent, reviennent, et parfois, il se passe des périodes pendant lesquelles la personne autiste n'a pas d'IS en particulier, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'en aura jamais ou plus jamais.
Mais pour les personnes autistes ayant des intérêts spécifiques, ne plus en avoir du temps est souvent synonyme de grand vide dans leur vie.
Mais pour les personnes autistes ayant des intérêts spécifiques, ne plus en avoir du temps est souvent synonyme de grand vide dans leur vie.
Les intérêts spécifiques peuvent être nombreux ou uniques, ils peuvent sembler communs ou originaux, mais il faut savoir que tout est susceptible d'intéresser tout le monde. Une personne neurotypique (NT) peut tout à fait nourrir une passion pour les ampoules à filament et s'intéresser à l'histoire de l'invention de l'ampoule à aujourd'hui, même si le sujet peut sembler particulier et spécifique. Évidemment, il y a de tout dans notre monde, cependant, il est plus rare de trouver ce genre de passion chez les personnes NT que chez les autistes. Et puis, disons-le, généralement la personne soi-disant NT qui développe ce genre de passion n'est que rarement tout à fait NT...
Dans tous les cas, il serait faux d'affirmer qu'une personne autiste n'a qu'un unique IS. Cela peut parfois le sembler, car les IS peuvent être liés dans le sujet (penser que l'IS est l'Histoire, alors qu'en fait les IS sont l'Égypte au temps de l'âge d'or, l'époque d'Edo au Japon, la Révolution française, les grandes inventions, l'histoire de l'écriture au Moyen-Orient, etc. Mais d'un point de vue extérieur, on se dire "son IS, c'est l'Histoire".
J'ai d'ailleurs vu sur un groupe une personne autiste lister ses IS ainsi (nommés ici intérêts restreints) :
"Mes intérêts restreints sont [...] l'indépendantiste québécois, le souverainiste québécois, la séparation du Québec du Canada, le patriotisme québécois, le nationaliste québécois, les valeurs québécoises, la culture québécoise, le mode de vie québécois, le peuple québécois, la nation québécoise, les québécismes, le français québécois, la québécophonie et la francophonie [...]."
Il y en avait plein d'autres, mais typiquement, cette partie pourrait être résumée par une personne NT en disant "il se passionne pour le Québec." or ce n'est pas le cas, les thèmes et sujets sont extrêmement précis, spécifiques, nombreux. Mais on peut facilement penser que tous ces thèmes ne forment qu'un seul et unique intérêt spécifique.
Et enfin, un manque de temps pour aussi pousser une personne à se pencher sur un IS en particulier, le plus prenant, le plus passionnant, ce qui n'empêche pas d'avoir d'autres intérêts spécifiques même s'ils semblent passer inaperçus.
Il est souvent mal venu de proposer à une personne autiste de suivre un cours ou de rencontrer une personne en rapport avec son intérêt spécifique. Ce n'est pas parce qu'une personne aime le dessin qu'il souhaite se retrouver au milieu d'autres personnes pour dessiner, ce n'est pas non plus parce qu'une personne est passionnée de photo qu'elle voudra partir faire de la photo avec l'ami d'un ami. À moins, éventuellement, que cette autre personne soit également autiste, mais et encore, ça ne veut rien dire. En revanche, pouvoir échanger sur son IS (dans un monologue enthousiaste) est est plaisir que peu d'autistes ne dissimulent, au risque d'épuiser leur interlocuteur et de ne pas leur laisser l'opportunité de répliquer. C'est d'ailleurs la raison qui fait qu'une personne autiste ne voudra pas intégrer un groupe de personnes partageant sa passion, car il n'est pas impossible que son engouement pour le sujet l'isole malgré tout.
Comme je le disais plus haut, il y a cette fameuse notion de besoin dans les intérêts spécifiques est souvent minimisée à la norme du plus grand nombre. Or, pour une personne NT, même si sa passion est de faire du parapente et qu'il le ressent comme un besoin pour se sentir bien, il n'aura aucune difficulté à s'en passer quelques jours pour partir en vacances, ou annuler sa séance de parapente pour une soirée entre amis. Ce n'est pas le cas pour un autiste. Un autiste voudra se plonger dans ses IS même en vacances, organisera ses vacances en fonction de ses IS, il annulera la soirée entre amis pour travailler sur ses IS. Et si ce n'est pas possible, s'il est obligé d'aller à la soirée, par exemple, il pensera à son IS toute la soirée, se réjouira de rentrer et peut-être même que malgré l'épuisement, il consacrer un peu de temps à ses IS avant de tomber de fatigue. Car il ne faut pas sous-estimer le pouvoir apaisant, réconfortant, calmant, déstressant, etc. des IS quand une personne autiste peut s'y consacrer.
Certaines personnes autistes n'ont malheureusement pas tout le loisir de prendre le temps dont ils ont besoin pour leurs IS, je pense notamment aux mamans, puisque c'est mon cas, qui doivent s'occuper de leur(s) enfant(s), de leur intérieur, parfois des courses, et/ou travaillent en prime à côté. Elles n'ont plus de temps pour elles et encore moins pour leurs IS. Très souvent, cela se termine en burn-out, en dépression.
Il ne faut malgré tout pas confondre un IS et une addiction. Je me permets de citer le blog "Troll de jardin", car je doute exprimer plus justement la différence entre addiction et intérêt spécifique :
"Un intérêt spécifique, c’est très différent [d'une addiction]. Si la personne peut s’y consacrer sans obstacle majeur, cela lui ne lui apportera pas qu’un plaisir passager de soulagement. Cela permettra un véritable bonheur dans sa vie. Et cela n’est donc ni possible ni souhaitable de « guérir » des intérêts spécifiques.En outre, pour une personne autiste, être susceptible de développer des intérêts spécifiques et s’y consacrer autant que possible, c’est son fonctionnement normal. Et non une perturbation."
Là où les IS peuvent devenir handicapants, c'est à partir du moment où ils empêchent la personne autiste d'être autonome, avec un emploi par exemple. Également au niveau de la vie sociale, mais si la personne se complet dans ses intérêts spécifiques et que cela lui suffit, pourquoi pas ? Chacun est différent. Je sais par exemple qu'en ce qui me concerne, si je peux me consacrer à mes IS, je n'ai nul besoin de voir du monde, de sortir, et j'en oublie même de manger (et de me laver, mais chut...).
Après, il est vrai que dans le cadre familiale, il est toujours délicat d'accepter qu'un membre de la famille préfère passer du temps à aligner ses figurines de jeu de rôle ou à aller se promener avec son chien en montagne plutôt que de passer Noël avec tout le monde, mais une fois de plus, ce n'est qu'à cause d'une vision sociale de ce qui est juste ou faux, tolérable ou non. Après tout, pour l'exemple de Noël, ce n'est qu'une tradition à laquelle beaucoup de personnes ne participent pas sans pour autant être autiste, donc libre à chacun de faire son choix.
Évidemment, si la personne autiste souffre d'une exclusion due aux choix de ses intérêts si particuliers qu'il ne peut en parler à personne, cela devient également un handicap. Mais généralement, ceci est lié à la difficulté d'échanger avec des personnes NT. Si la personne autiste se tourne vers d'autres personnes atypiques, il y a des chances pour qu'elle arrive à trouver des interlocuteurs aussi passionnés qu'elle.
Non, le véritable problème des intérêts spécifiques est lié au monde professionnel, car bien souvent celui-ci devient un frein pour la personne autiste qui ressent sa journée de travail comme une grosse perte de temps. Sans parler du fait que si son métier n'est pas lié d'une façon ou d'une autre à un intérêt spécifique, la personne autiste peut rapidement se retrouver à rêvasser, prendre des notes qui n'ont aucun rapport avec son travail, perdre du temps sur les tâches à accomplir, etc. et évidemment, cela fini par se remarquer. Comme ce n'est pas le comportement attendu d'un employer, il arrive généralement le contrat prenne fin, ce qui peut parfois être une source de soulagement pour certains autistes qui pensent retrouver le temps libre qu'il le faut pour se consacrer enfin à leurs IS, mais cela redevient rapidement un vrai problème quand il faut payer son loyer, sa nourriture, etc. comme pour tout le monde.
Les autistes sont très nombreux à être incapables de travailler dans un domaine qui ne concerne en rien ses intérêts spécifiques, ce qui revient souvent à dire que de nombreux autistes sont nombreux à être incapables de travailler tout court... Ce qui n'a rien à voir avec une notion de manque de volonté ni de flemme. Car il n'est pas toujours aisé de travailler dans les domaines des IS, surtout quand en prime, ces métiers demandent de posséder de nombreux diplômes, des années d'études ou de pratique comme bagages. Et la personne autiste n'a pas ces diplômes, ces années d'études et de pratique. Elle peut avoir un savoir théorique digne des meilleurs étudiants de la branche, mais cela ne compte absolument pas pour un employeur.
Une personne autiste à besoin d'aménagements particuliers en terme de lieu de travail (par ex. bureau isolé du bruit, possibilité de s'isoler, etc), d'horaires (possibilité de faire des pauses, de s'isoler, etc.), parfois de mobilier (par ex. possibilités de rangement et de classement personnalisé), etc. Mais cela est généralement difficile à exiger car l'autisme tel que le syndrome d'Asperger étant souvent invisible, les privilèges alors accordés à une personne autiste ne sont généralement pas compris et mal acceptés par les autres employés (souvent ignorants la situation de handicap de la personne avec TSA) qui pourraient réclamer les mêmes privilèges, ce qui est inconcevable pour l'employeur, ou pire : se mettre la personne autiste à dos, ce qui serait une nouvelle source de souffrance extrême, de burn-out, de dépression, etc.
Bien souvent, les gens pensent que les IS concernent soit vers des domaines geek, tels que les jeux de rôle, jeux vidéo, séries, littérature fantastique, etc., soit vers des domaines intellectuels tels que la psychologie, l'astrophysique, la physique quantique, l'histoire, etc. Mais tout peut devenir un IS. Nombreuses sont les personnes autistes ont des intérêts restreints tout à fait communs tels que la cuisine, la photographie, la couture, les bullets journaux, la méditation, etc.
Une autre idée reçue est qu'une personne autiste est un génie, surtout dans son domaine. Il est vrai que c'est souvent le cas, mais pas toujours. Ensuite, être un génie dans le domaine de ses intérêts spécifiques ne veut pas dire être un génie de tout. Cela ne garantit en rien une réussite scolaire, de hautes études et un emploi bien payé. Beaucoup cumule beaucoup de connaissances dans leurs domaines de prédilection, mais n'ont aucune pratique, on peut se passionner pour quelque chose sans n'avoir jamais pu échanger avec des professionnels du milieu, ou encore, une personne autiste peut ne pas avoir la coordination qu'il faut pour réussir une action (cuisine, sport, sculpture...) qui fait partie de ses intérêts spécifiques. Et d'autres fois, il arrive que la personne autiste ait de si nombreux IS qu'il arrive que son intérêt baisse sur certains avant d'avoir vraiment pu approfondir le sujet (ce qui n'empêche pas un cumule de connaissance impressionnant malgré tout).
Et enfin, tous les IS n'ont pas la même importance, il y a ceux de premier plan, ceux qu'il est impossible de mettre de côté sans souffrance, et ceux de second plan, qu'il sera plus facile de mettre de côté, du moins pour un temps, souvent très nombreux et changeants, mais pas forcément.
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