Faire semblant


On dit qu'il est difficile de faire semblant quand on est autiste Asperger, pourtant, ceux-ci passent leur temps à "faire semblant" d'être "normaux" dans une société neurotypique afin de tenter une intégration sociale - plus ou moins réussie. Du coup, qu'en est-il de cette fameuse capacité à faire semblant ?

L'auteure du blog Au royaume d'une Asperger a posé la question sur un groupe Facebook de femmes Asperger concernant le fait de faire semblant dans les jeux avec les enfants lorsqu'on est maman, souhaitant écrire un article sur le sujet.
Étrangement, bien que toutes avaient un avis personnel différent des autres, nombreuses sont celles qui disaient avoir beaucoup de mal à faire semblant. Principalement dans tout ce qui touche aux "petits mensonges" qu'on peut dire à ses enfants - le fait que son dessin soit beau quand il ne ressemble à rien, le fait qu'il fait bien les choses quand c'est encore maladroit, etc. - ainsi qu'aux jeux de rôles et d’interprétation.

Il me semble avoir constaté que la franchise, caractéristique du SA, ressort particulièrement pour ce qui est de dire à un enfant ce qu'il en est de ses réalisations. Tout en essayant de rester diplomate, de ne pas le rabaisser ou dénigrer son travail. Juste lui dire les choses telles que ces mamans le pensent, proposant ensuite souvent des solutions pour améliorer la technique ou le procédé, etc.
Ensuite, les mamans Asperger semblent également avoir du mal à jouer la comédie quand elles manquent d'imagination, ou simplement parce qu'elles n'aiment pas jouer un rôle. Certaines disent que dans ce genre de situation, elles n'y arrivent simplement pas, que c'est le vide dans leur tête, que leurs mouvements se bloquent. La plupart préfèrent les jeux concrets, jeux de société, création, chatouilles, cache-cache, ce genre. Dans tous les cas, jouer avec un enfant demande énormément d'énergie à chacune.

En ce qui me concerne, voilà ce que j'ai répondu :
"Faire semblant est bon pour le développement de l’enfant, en revanche, lui mentir ne sert à rien. Cependant, il faut juger ses réalisations en fonction de ses capacités. Le dessin d’un enfant est certes "moche", mais selon ses capacités, ses aptitudes à manier un crayon et à dessiner ce qu’il désire, un dessin peut être incroyablement réalisé, aussi en fonction de sa créativité.
Il ne faut pas oublier que c’est un individu [...] qui n’a aucune notion de physique, de science, de logique. Pour un enfant sans ces connaissances, il [...] n’y a aucune raison [...] que quand il lâche un objet en l’air, il ne reste pas en l’air, là où il l’a lâché, et il ne comprend pas pourquoi l’objet tombe... Qu’il le comprenne seul est une faculté impressionnante, même si cela semble basique pour un adulte. [...] 
Faire semblant l’aide à se développer, à développer sa créativité, son imagination, sa curiosité, et par la même, son envie de savoir et de connaissances... Jouer la comédie lui permet de tester ses capacités sans pour autant vraiment vivre certaines situations vraiment dangereuses. [...]

[...] Je trouve plus simple de faire semblant pour le jeu, là où l’erreur est admise et où l’imagination est libre de créer ce qu’elle veut. Alors que se fondre dans le moule social demande de suivre des règles précises, on est cadrées, jaugées, jugées, observées, calculées, critiquées... c’est épuisant.
Même un jeu de société avec ses règles est moins fatigant (bien que, même si j’adore en petits groupes de proches, je ne me sente pas toujours capable de m’y plonger en fonction de la complexité et mon niveau de fatigue).
Un jeu de société est un moment de plaisir où on a le droit de demander un rappel des règles. Dans le quotidien, on n’a pas le droit de demander un rappel, on doit connaître les règles."
Mais il ne faut pas non plus oublier que le jeu, avec un enfant, ce n'est pas seulement faire semblant. C'est aussi chanter, faire de la musique, se courir après, se chatouiller, peindre, dessiner, faire des biscuits, construire une cabane, gonfler des ballons, se maquiller, se baigner et se lancer de l'eau dessus, faire une bataille de boule de neige, raconter des histoires, jouer à des jeux de société, sauter dans les feuilles mortes, etc. Et tout ça épanouit tout autant un enfant, il ne faut pas en douter. Il n'y a pas que les Asperger qui ne savent pas faire semblant, il y a même des NT qui ne savent pas jouer, qui n'aiment pas ça du tout - et qui expliquent parfois que leur motivation d'avoir eu plusieurs enfants étaient qu'ils jouent ensemble plutôt qu'avec eux, leurs parents.


En ce qui me concerne, comme expliqué au-dessus, je n'ai pas de peine à jouer avec ma fille, je sais ce qu'est jouer la comédie, j'ai de l'imagination et j'aime m'en servir, mais je suis incapable de faire pareil avec tous les enfants. J'y arrive avec ma fille, c'est tout. Les autres enfants ne m'inspirent aucune envie de jouer, me semblent antipathiques et inintéressants.

Elle et encore petite, mais, par exemple, quand elle commencera à dessiner, je ne compte pas lui dire "c'est beau" si je n'arrive pas à comprendre ce que je regarde. C'est d'ailleurs quelque chose que je n'ai jamais compris - et que j'ai toujours dit - que de faire semblant d'apprécier un dessin d'enfant alors qu'on ne sait même pas ce qu'il représente. Mais rien ne m'empêchera de lui demander ce qu'elle a dessiné, ce qu'elle a voulu faire, lui montrer quelques techniques et astuces, comme ma mère qui nous a appris la perspective quand, ma sœur et moi, nous étions encore toute jeune. Je ne pense pas que cela fasse perdre confiance en lui à l'enfant que d'être honnête si on sait faire preuve de délicatesse et de douceur.

L'expression des émotions avec un enfant peut également sembler fausse quand l'enfant fait quelque chose qui ne prêterait pas à rire si c'était fait par un adulte. Et généralement, le discours des enfants m'ennuie, leurs blagues ne me semblent pas drôles, je suis même parfois mal à l'aise quand ils me racontent certaines choses ou font certaines autres choses, ne sachant pas vraiment comment exprimer l'amusement ou l'étonnement ou autre que cela devrait pourtant engendrer, et ce même si je suis parfaitement consciente de l'expression que je devrais afficher, je bloque. Je suis prise au dépourvu, ma réaction n'est plus naturelle, alors je me retrouve à "bafouiller de l'expression faciale".

Mais avec ma fille, c'est différent. Je ne ris pas forcément de l'acte en soi, mais de la joie que l'acte peut susciter chez ma fille.
Aujourd'hui, par exemple, alors que nous étions dans un centre commercial - bondé, vive les soldes -, ma fille était installée dans sa poussette, et j'avais posé mon écharpe sur le rabat, au-dessus de sa tête. Elle l'a attrapé pour la tirer vers elle puis l'a observée sous toutes les coutures, moi la regardant faire du coin de l’œil. Après quoi, elle a commencé à se cacher avec puis se découvrir, amorçant une partie de "coucou-caché" à laquelle elle jouait seule tout en éclatant de rire à chaque fois qu'elle se découvrait. En la voyant rire ainsi, je n'ai pas pu m'empêcher de m'inviter dans la partie, lui faisant des grimaces, lui lançant des coucous, etc. J'ai rejoint mon mari qui se trouvait deux rayons plus loin, l'entraînant à participer à son tour. Alors on a commencé à faire les fous avec elle, ne tenant plus compte des autres personnes qui nous entouraient.

Je pense que savoir se lâcher, même en public, permet de lâcher prise sur ce contrôle constant qu'on s'impose, autant en tant qu'Asperger que lorsqu'on est NT et que, même si c'est intuitif pour eux, la vie n'est qu'un contrôle constant de ses actes face au regard des autres.
Tout ceci nous permettant de partager de sincères instants de rires et de partages. Voilà pourquoi je pense que le jeu avec un enfant est bon pour soi car c'est généralement un retour au naturel face à un "public" (notre enfant) non regardant sur le suivit des règles de vie en société.
 
Pour ma part, enfant, je ne jouais pas particulièrement. Non pas par manque d'imagination, un simple carton d’électroménager devenait un bateau de pêche ou une forteresse à mes yeux, mais simplement parce que je n'aimais pas dévoiler mes jeux, mes histoires, mes pensées. Je restais passive à observer mes jouets, mes bricolages ou autre, sans oser vraiment les manipuler. Je n'aimais pas mélanger les vêtements de mes poupées, je voulais qu'elles gardent ceux qu'elles portaient à la base, pareil avec les accessoires. Je n'aimais pas éparpiller les choses qui allaient ensemble, il ne fallait pas les mélanger. Et pourtant, j'étais horriblement désordonnée, on ne voyait pratiquement plus le sol de ma chambre tant il était couvert d'affaires. Mais c'était ce qu'on appelle "un désordre organisé" dans lequel il ne fallait surtout pas venir mettre le bazar.

Je pense que je me rattrape un peu aujourd'hui, avec ma fille, en me laissant aller à jouer, car je sais qu'elle ne me jugera pas, mon mari non plus, que j'ai le droit d'avoir les idées que j'ai, l'inspiration et l'imagination que j'ai, que je suis en droit de l'exprimer, chose dont je doutais étant enfant, alors que personne ne m'a jamais jugée...

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