Piqûre de rappel


"T'es agressive !" - "C'est blessant ce que tu dis." - "Tu l'as mis mal à l'aise avec tes questions..." - "Avec toi c'est toujours tout ou rien." - "Tout est toujours si compliqué." - "Tu veux pas allumer la lumière ?" - "Tu peux quand même faire un effort !" - "Pourquoi tu ne veux pas sortir ?" - "C'est pas la mer à boire." - "Allez viens, tu vas bien t'amuser !" - "Reste pas dans ton coin." - "Tu veux déjà renter ?" - "C'est pas grave si je fais pas exactement comme toi !" - "T'es fatiguée ? T'as rien foutu aujourd'hui ?" - "Une semaine de préparation mentale pour le moindre truc..." - "Tu pouvais pas y penser avant ?" - "C'est sympa, tu vois du monde, tu fais des rencontres..." - "C'est pas la fin du monde !" - etc.

Ces phrases et bien d'autres, on me les sert depuis toujours, encore et encore.

Alors oui, c'est compliqué pour moi de m'organiser pour aller boire un café. Je dois prendre le chien, ou le sortir avant, habiller la petite, préparer le sac avec le biberon, les couches, prendre le train, monter dans le train, y aura peut-être personne pour m'aider avec la poussette, et si le chien tire ce sera l'enfer, et si c'est l'heure de la sieste de la petite, je ne veux pas la priver de sa sieste pour sortir, et si... et si...

Oui, je n'allume que rarement la lumière et n'ouvre presque pas mes rideaux - parfois même les volets - parce que la lumière du soleil me donne la migraine, parce que la lumière artificielle me fatigue les yeux et dans les deux cas je suis éblouie, je me sens fatiguée, je n'aime pas pas l'ambiance trop éclairée que ça crée, je ne me sens pas dans mon cocon, je vois voler la poussière et ça me stresse, etc.

Non, je ne demande pas aux gens ce qu'ils font dans la vie quand je les rencontre, je préfère leur demander ce qui les défini, quels sont leurs passions, quels sont leurs rêves. Je ne suis pas censée savoir que les passions et les rêves des gens sont des secrets inavouables et honteux. Alors à moins que le métier de la personne soit sa passion et dans ce cas elle me parlera de son métier, la plupart des gens n'aiment pas leur travail et ce ne sont pas des discussions qui m'intéressent...

Oui, ça me stresse quand les choses ne sont pas faites comme je veux, du moins quand ça touche un domaine pratique, quelque chose que j'ai mis en place pour me faciliter le quotidien, pour ne pas avoir à chercher, à refaire, ou autre. Par exemple, c'est terriblement stressant pour moi qu'on me propose - m'impose - un coup de main quand je cuisine. Les choses ne sont pas faites dans l'ordre que j'avais prévu, ni dans le temps que j'avais décidé, ça traîne où ça ne devrait pas, etc. Alors parfois, il m'arrive de laisser l'autre personne faire seule pour me relâcher, ce qui est perçu comme malpoli (évidemment, ce n'est pas à l'invité de faire la cuisine)...

Oui, je suis tendue quand on éparpille les choses, qu'on les déplace là où elles ne sont pas censées être. Je n'aime pas avoir des vêtements qui restent dans la voiture, même si cela signifie que je dois le reprendre à chaque fois que je monte dans la voiture, je préfère savoir ce vêtement avec les autres. Je n'aime pas qu'on laisse un verre au bureau sous prétexte que ça évite de devoir aller à la cuisine pour en reprendre un à chaque fois, je préfère faire moi-même le service à chaque fois s'il le faut, etc.

Oui, j'ai tendance à dire les choses telles que je les pense - tout en essayant d'utiliser un ton léger ou humoristique - , je n’aime pas ton pull, je n’aime pas ton collier, je trouve la déco un peu kitch, si tu me demandes mon avis, tu l'auras. Évidemment, j'essaie d'être diplomate, j'y arrive parfois, mais pas toujours, alors j'essaie de me rattraper parce que je comprends que j'ai pu blesser, mais je m'enfonce, encore et encore, je plombe l'ambiance, c'est comme ça.

Oui, je suis fatiguée rien qu'à l'idée de sortir, alors si je sors, si on va se balader, s'il y a en prime du monde, si on discute, s'il y a du bruit, etc. alors oui, je serai fatiguée. Et donc, faire les courses c'est un calvaire épuisant pour moi. J'essaie de m'y préparer, mais j'imagine tout ce qui peut arriver de pire, le bruit, les gens qui poussent, les gens pressés, qui te parlent à la caisse parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire, le stresse de remplir son sac des achats alors que la caissière veut passer au client suivant, etc. Imaginez ce que ça me fait d'aller à une fête maintenant...

Oui, avec moi c'est souvent tout ou rien. Toujours ou jamais. Oui ou non. Avec ou sans. Parce que c'est plus simple, parce que c'est plus clair. Même si je sais nuancer, surtout dans un dialogue, mais dans l'action, je ne nuance pas, tout ce qui nuance mes envies et désire ne me satisfait pas, ne me rend pas heureuse. Je préfère que rien ne corresponde à mes envies plutôt qu'un ersatz raté de mon envie.

Et c'est comme ça pour tout. Les gens constatent parfaitement que mon comportement n'est pas toujours approprié, que je fais d'une montagne un imprévu insignifiant, qu'un rendez-vous avec une amie me déprime comme si je devais aller travailler à la mine, qu'un voyage entre copains sonne plus pour moi comme l'Enfer sur Terre que comme partie de plaisir, etc. Ils le constatent tous les jours.

Aujourd'hui, il y a un diagnostic de posé sur ce comportement décalé, il y a deux petits mots qui en justifient la grande partie :  Syndrome d'Asperger. Malgré ça, les gens continuent de me faire les mêmes remarques, les mêmes reproches... Et moi, de mon côté, je prends conscience que ce doit être dû au SA, même si je tente au mieux de gérer tout ça, et même si ça n'excuse pas tout non plus. Mais je n'ose pas le dire, je n'ose pas dire "Oui, mais c'est parce que je suis autiste", je suis mal à l'aise, je n'ai pas encore assimilé l'idée, et mon entourage encore moins.

Donc je continue à me faire reprocher - même si c'est parfois gentiment - mon comportement qui semble empreint de flemme et de complication, je sais pourquoi je suis comme ça, mais sans oser le signaler...

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