Avoir l'air normale


J'en reviens encore une fois à cet éternel sujet qu'est la visibilité du syndrome d'Asperger quand on est une femme, et quand on est enfant. Comme évoqué à plusieurs reprises, en ce qui me concerne, je n'ai pas de souvenir qui me permette de me dire que ça pouvait être le cas étant enfant, il me semble qu'il n'y avait aucun trait visible, même si mes intérêts pouvaient concorder avec les caractéristiques autistes, même si j'aimais être seule, même si j'avais peu d'amis en fin de compte, même si ces amitiés ne duraient jamais vraiment, sauf une, etc. Le syndrome de l'imposteur l'emporte souvent... Mais je suis étonnée de voir à quel point cela concerne énormément de femmes diagnostiquées ou en cours de diagnostic.

Je suis sur trois groupes Facebook réservés aux femmes Asperger et je vois souvent cette interrogation apparaître, celle que l'enfant qui ne montre aucun signe d'autisme, bien intégré, qui a des amis, souris, regarde dans les yeux, montre les choses du doigt avec intérêt et curiosité. Bien souvent, ces femmes cumulent également un T/HPI, ce qui explique certainement cette rapide capacité à se fondre dans la masse, à faire comme les autres.

Lors de certains examens et tests pour le diagnostic du SA, il est demandé d'apporter des photographies de son enfance, or les femmes aspies sont d'accord entre elles pour dire que ce n'est pas vraiment concluant. Certaines le démontraient en publiant certaines photos d'elles qui faisaient très "normales" alors qu'elles étaient diagnostiquées autistes Asperger et en montraient de nombreux signes clairs.

Pour en citer certaines :
"Sur toutes les photos j’ai l’air d’être épanouie, joyeuse, je suis souriante, je tiens la main à d’autres enfants, je suis proche de mon petit frère [...] En somme j’ai l’air très sociable sur ces photos... J’ai des sourires forcés vers 2-3 ans, mais rien de bizarre à cet âge là je trouve... Je suis à des goûters d’anniversaire [...]"
"Mon fils de 6 ans est soupçonné d'être aspie. Il est HP. Franchement en photo, c'est 100% invisible. Même au quotidien, il se débrouille. Sauf des réactions tout sauf adaptées à des moments."
"Je suis diagnostiquée aspie et je ne pense pas que cela se voit sur des photos. J'ai des copines, je souris, etc. Si l'apparence était aussi flagrante, je pense que les parents ou l'entourage auraient compris plus tôt qu'il y avait quelque chose de différent non ?"
"Sur photos j'ai toujours eu l'air très bien. Très tôt j'ai su imiter les expressions et attitudes des autres. Par contre je me souviens trop bien de comment je vivais les choses et ce à quoi je pensais dans l'enfance. [...] Mes enfants sont aussi photogéniques alors que leur autisme est bien plus visible que moi enfant."
"Qui aurait dit que ce bébé souriant qui fixe la caméra était en fait Asperger ? Sans doute personne. Les photos, ça ne veut rien dire."
"Je me rappelle que j'étais visiblement heureuse pour tout le monde, car je me forçais à m'adapter pour ne pas être considérée comme différente ou bizarre. Ça ne m'a pas évité des étiquettes qu'on me collait à chaque fois, mais personne n'a soupçonné le syndrome. Même actuellement, quand j'en parle avec mes proches, ils me disent que ce n'est pas possible, que je suis normale, mais peut-être dépressive"
 
Il y a aussi sur l'image qu'on renvoie une fois adulte et "adaptée" qui met en doute. On apprend à rire, à comprendre, à déchiffrer, à analyser... Du coup, on est "normales", d'apparence du moins. Jusqu'à se faire douter soi-même d'être autiste.

Une femme Asperger posait d'ailleurs la question sur un des groupes de femmes aspies, en ces termes :
"Est-ce que ça vous arrive de douter de vos symptômes quand vous êtes en société ? C'est-à-dire que l'illusion est si bien construite - vous donnez si bien le change en société - que vous avez tendance à douter de votre différence - à quelqu'infimes détails près qui trahissent le "masque" si habilement construit [...]. Que seul un fin connaisseur pourrait détecter."
Les réponses étaient claires :
"Ça me parle tellement !"
"Oui, très souvent"
"Oui exactement"
"Complètement"
"Complètement je me leurre moi-même [...]"
Etc.

L'une d'elles mettait en évidence un élément important de cette capacité à s'adapter, à devenir sociable :
"J'ai [...] grandi en apprenant à me remettre en question et me mettre à la place des autres constamment. J'ai vite compris que si j'arrivai à m'adapter aux autres, mes relations sociales ne seraient que meilleures [...]. Et surtout, cette gymnastique cérébrale est devenue un automatisme, tellement ancré et facile à réaliser, qu'aujourd'hui il semble que ça me desserve plus qu'autre chose. [...]
Le problème, c'est que si je suis moi-même, on ne me supporterait pas : très bavarde, nerveuse, transparente et lucide (je parle autant des choses négatives que positives), très à cheval sur le respect [...], supporte mal le bruit et les lumières fortes [...], les soirées filles où on parle épilation et kilos en trop, etc. Autant de petites choses ridicules que je gomme quotidiennement, car je sais que ça ne plait pas à mes interlocuteurs, et/ou que je ne sais pas communiquer "pacifiquement" lorsque je veux faire un reproche (sans filtres, vous savez bien).
Depuis quelques mois je vois une nouvelle psy de manière irrégulière [...], avec qui j'ai décidé d'arrêter de me forcer à m'adapter : "et si vous essayez d'être vous-mêmes avec les autres ?" Et depuis, les problèmes sociaux reviennent au galop [...].
Résultats : je fais toujours preuve de beaucoup d'empathie, mais je pense aussi à moi ; on me reproche ainsi de ne pas me remettre en question et autres défauts classiques => incompréhension totale. Pour moi, ce sont ces personnes qui ne sont pas empathiques avec moi : je n'ai pas le droit à l'erreur ? Pourquoi est-ce toujours à moi de faire l'effort ? Pourquoi certaines personnes, insupportables au possible, on leur excuse tout sous prétexte qu'elles "sont comme ça" ? Pourquoi on ne me prend pas comme je suis ? [...]
Je tiens à préciser que je suis une personne qui prône le respect et la compréhension des autres et je n'use jamais de mon "caractère bien trempé" ou de mon "aspergitude" pour me donner le droit de blesser les autres. Je connais en revanche des personnes moins bien intentionnées et pourtant très aimées."

(Évidemment, je ne nomme pas les citations par respect pour les personnes et leur vie privée.)

La plupart des femmes Asperger jouent un rôle qui les épuise, un rôle qui leur demande de cacher leurs faiblesses, leur sensibilité, leurs particularités, etc. Et l'entourage ne prend généralement pas ces efforts en compte, au contraire. Évidemment, peu de personnes se doutent que c'est une "comédie", car les personnes diagnostiquées ne le crient pas sur tous les toits, du coup, la plupart des gens se permettent de reprocher aux personnes vivant avec le SA de ne pas prendre en compte le caractère des gens qui les entourent. Comme si les efforts ne devaient venir que de nous, femmes Asperger.

Je me suis particulièrement retrouvée dans ce témoignage, car je me suis souvent retrouvée dans cette situation, à devoir accepter une personne telle qu'elle est alors que je m'efforce de ne pas être ce que je suis pour ne pas déranger. On m'a tellement souvent dit "Il/Elle est comme ça, tu devrais commencer à le savoir..." "Mais il/elle rigolait, soit pas si susceptible..." "Prends sur toi un peu, tu sais bien qu'on ne le/la changera pas..." que je ne compte plus. Tout ce que je sais c'est qu'être soi-même, ce n'est pas autorisé aux personnes Asperger, mais les autres, il faut les accepter tel qu'ils sont.

Dans tous les cas, je constate que c'est récurant comme impression, d'être trop normale pour être aspie, et donc, quelque part, rassurant de se dire qu'on n'est pas la seule à avoir l'impression d'usurper un... Un quoi ? Un trouble ? Une divergence neurologique ? Je ne sais pas si ça vaut bien la peine de se battre pour oser se dire autiste Asperger quand on ne l'est pas, mais quand on l'est, qu'on peut enfin comprendre certains comportements difficiles à expliquer, difficiles à exprimer, c'est un vrai bonheur. Voilà pourquoi quand ce soulagement est remis en doute par l'entourage (ou parfois par des médecins) simplement parce que "ça ne se voit pas sur les photos", "petite tu avais des copains", "tu nous as toujours regardés dans les yeux", "ça n'est pas possible on l'aurait remarqué", et bien c'est difficile à accepter. Parce que c'est remettre en question nos difficultés, minimiser nos souffrances, extrêmement pesantes pour certaines, et c'est nous faire douter de nous.

4 commentaires:

  1. "être soi-même, ce n'est pas autorisé aux personnes Asperger, mais les autres, il faut les accepter tel qu'ils sont" : tout est dans cette phrase, mais ton article dans son ensemble résume extrêmement bien la problématique. Une fois qu'on a appris à répondre aux attentes des autres et une fois qu'on a bien intégré que notre manière de sentir et penser naturelles dérangent, difficile de faire marche arrière, et pourtant tout ça est épuisant et nuisible (pour nous). Bonne chance sur le chemin de la pleine acceptation de ton autre normalité :)

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    1. La marche arrière est un long travail sur soi je suppose. Personnellement, j'ai décidé de l'intégrer à un changement complet de "mode de vie" (sans tomber dans une extrême non plus). Il y a beaucoup de choses à changer pour que j'arrive à me retrouver ;)
      Merci pour ton commentaire en tout cas !

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  2. Il y a longtemps que je me pose cette question: mais qu'est-ce donc
    "être normal" ??? dans ma longue vie je ne pense pas en avoir beaucoup rencontré ... même pas moi-même !!!

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    1. La normalité est une grande énigme en réalité car je doute que quiconque se laisse être réellement lui-même face à la société. Tout le monde joue un rôle à une échelle plus ou moins grande.
      Mais la société aime mettre en place des échelles de valeurs, de normalité, etc. donc la norme revient à ce qui est montré et accepté par le plus grand nombre...
      Mais quand on sait à quel point certains codes sociaux sont lourds pour tous, c'est à se demander pourquoi ils représentent la norme...

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